Signé Stéphane – Lettre d’un jeune au CEO de Fribourg

Pour défendre la réforme sur les étrangers, Raphaël Berger affirme notamment qu’il n’y a pas assez de jeunes en Suisse qui acceptent de tout faire pour devenir professionnels. Une déclaration qui a provoqué beaucoup d’incompréhension au sein des mouvements juniors.

Si les formateurs s’accordent pour dire que les hockeyeurs en herbe n’ont pas tous le même degré de motivation pour réaliser leur rêve, il demeure qu’une très large majorité de jeunes s’investissent sans relâche avec le soutien indéfectible de leur famille. 

Pour faire comprendre ce qu’ils vivent dans l’espoir d’atteindre la ligue nationale, je me suis placé dans la peau d’un hockeyeur de 15 ou 16 ans qui écrit une lettre au patron de Fribourg-Gottéron. Le personnage est fictif, mais sa réalité correspond à celle d’un joueur U17 évoluant dans l’élite du pays.

Signé Stéphane – Lettre d’un jeune au CEO de Fribourg

Cher monsieur Berger,

Je ne comprends pas tout concernant vos réformes. Mais j’ai été surpris de ce que vous avez dit sur les jeunes joueurs suisses. Parce que j’ai l’impression que tous les joueurs de mon équipe se donnent à fond même si nos semaines sont très remplies entre le hockey et l’école.

Vous avez joué en LNA jusqu’à 28 ans avant de travailler dans l’administration du club. Vous avez aussi gagné un titre avec Zoug alors que vous étiez plus jeune que David Aebischer. Vous savez sûrement comment faire pour devenir professionnel même si c’était différent dans l’ancien temps.

Mon oncle est ancien hockeyeur. Il dit que c’est beaucoup plus dur aujourd’hui et qu’on ne peut pas comparer l’investissement pour réussir. Il pense aussi que plusieurs joueurs suisses de l’époque n’auraient jamais fait carrière en LNA s’il y avait eu sept étrangers.

J’aimerais avoir votre avis sur le programme des U17-Elit de votre club. Ce serait sympa de savoir s’il n’est pas assez bien pour faire carrière en National League. Parce qu’on pourrait améliorer les choses directement avec les entraîneurs si jamais. 

Le lundi, on s’entraîne toute la soirée. Force en premier et glace jusqu’à 20h45. Je rentre à la maison vers 21h30 pour un souper avec beaucoup de protéines. C’est très important pour la récupération. Mes parents préparent souvent des menus spéciaux pour moi, du style des pâtes avant les matches et de la viande après.     

Le mardi, on commence tôt avec une séance de force à 7h00. C’est rude. Je rate en général une période à l’école, mais je dois la reprendre. Parce qu’en Suisse on est pas très souple avec l’école. Quand je compare avec les sport-études au Canada et aux USA, on est très loin derrière. Ce n’est pas dans la mentalité suisse à ce qu’il parait. C’est vraiment dommage.

Le mardi soir, on a la glace jusqu’à 20h00. Comme le rythme de vie de la famille dépend de mes horaires, ils m’attendent pour souper. Ça fait des années que c’est comme ça. Mes parents ont vraiment l’impression de tout faire pour que je réussisse dans le hockey. Ils se demandent maintenant s’ils en font assez suite à ce que vous avez dit dans La Liberté.

Quand je pense à mes coéquipiers qui sont en familles d’accueil, je trouve que j’ai de la chance. Parce qu’ils rentrent chez eux seulement une fois par semaine, en général le samedi entre les matches. Je les trouve courageux d’être partis de la maison à 15 ans. Ils donnent tout pour le hockey sans savoir ce qui les attend au bout.

Signé Stéphane – Lettre d’un jeune au CEO de Fribourg

Le jeudi on a deux séances de glace. La première de 7h15 à 8h15 et l’autre de 19h00 à 20h00. On prépare nos deux matches du weekend. Après je me dépêche de rentrer pour aller au lit tôt. Car le sommeil est super important à notre âge lorsqu’on fait du sport et qu’on grandit encore.

Je dois quand même faire mes devoirs avant d’aller dormir parce que c’est une année importante. Je dois absolument avoir des bonnes notes et ma mère me stresse tout le temps avec l’école. Selon elle, je devrais d’abord faire un diplôme et ensuite me concentrer sur le hockey. C’est la vieille mentalité suisse.

L’idéal pour moi serait d’étaler mes études pour pouvoir réussir sur les deux tableaux. Mais c’est compliqué avec les écoles ici. Mon père dit que si j’étais un artiste ce serait plus simple pour les adaptations scolaires. Je pense qu’il est un peu de mauvaise foi sur ça. Comme avec les arbitres durant les matches d’ailleurs. 

Lors des matches à l’extérieur, on essaye de répéter les cours dans le bus. Mais on veut aussi dormir pour préparer nos matches comme des pros. D’ailleurs en regardant l’horaire de la première équipe, je vois qu’on s’entraîne autant qu’eux même si on va à l’école toute la semaine. On doit sûrement avoir plus d’énergie que les professionnels.

Les week-ends de ma famille tournent toujours autour de mes matches. Mes parents aimeraient bien aller skier en famille mais c’est presque impossible. Les vacances à la montagne pendant les relâches ne sont plus possibles depuis longtemps. Même les vacances en juillet sont difficiles à planifier entre les entraînements d’été et les camps.

Mes parents disent que l’argent qu’ils économisent sur les vacances leur permet de payer mon équipement. Parce qu’à 1000 francs la paire de patin et 300 balles la canne, ça chiffre vite même si j’ai un petit crédit matériel du club. La saison passée j’ai pété plus d’une dizaine de cannes. À chaque fois mon père dit : « je sais pourquoi je travaille ».

Il faut que je regarde avec mon agent si ça serait mieux pour moi de partir à l’étranger dans les prochaines années. Parce que j’ai remarqué que les jeunes qui jouent avec la première cette saison sont tous partis au Canada (Jobin, Aebischer) ou en Suède (Schmid, Schaller). Reste à savoir si j’ai le niveau. 

Je me réjouis d’avoir votre opinion sur notre programme. Comme vous le dites si bien dans votre sondage sur les réformes, « votre avis est important pour nous ». Et on en tiendra compte, c’est promis.

Salutations sportives.

Bonne semaine à tous
Stéphane

Réponse de Raphaël Berger

Salut à toi cher jeune joueur pratiquant le hockey sur glace,

Je te remercie pour ton courrier et comprends tout à fait tes interrogations, d’une part dans le cadre des réformes en cours au niveau de la National League et d’autre part en ce qui concerne la restructuration générale de la SIHF. Je me permets ci-dessous de te faire part de quelques éléments qui pourront t’aider à mieux cerner la situation dans son ensemble (tout en te rassurant que celle-ci reste compliquée pour tout le monde, aussi pour nous les dirigeants).

Pour ma part, je dispose effectivement d’une expérience personnelle du chemin qui mène au professionnalisme même si comme tu l’écris toi-même, il est difficile de comparer les époques car beaucoup de choses ont changées, non seulement dans le hockey sur glace ou le sport mais dans toutes les facettes de la vie. Ayant dû mettre un terme relativement rapide à ma carrière pour des raisons médicales, je suis également bien placé pour souligner l’importance du système dual, qui doit permettre de mener de front des études et la pratique d’un sport à haut niveau. Quoiqu’il en soit, il y a tout de même, heureusement, certaines choses qui n’ont pas changées :

-      Toujours croire en ses rêves ;

-      Travailler fort, dans le sport et dans la formation ;

-      Ne pas se décourager dans les moments difficiles ;

-      Saisir chaque opportunité offerte ;

-      Profiter au maximum de tous ces bons moments passés au sein d’une équipe.

Si tu disposes de cette attitude, ce dont je ne doute pas, peut-être y arriveras-tu ou peut-être pas, mais alors tu n’auras pas de regrets. Au passage tu auras aussi appris énormément de choses qui te serviront pour ton futur.

Ton oncle a certainement raison mais comme évoqué plus haut, ce n’est pas que dans le hockey sur glace que les choses ont changé et évolué. Le nombre de joueurs étrangers a régulièrement varié mais il y avait de tout temps en Suisse des joueurs étrangers considérés comme des Suisses. La réforme doit aussi remédier à cette problématique car finalement, ces joueurs au statut particulier ont aussi dans un sens privé de jeunes Suisses d’une place dans l’élite. De manière générale, j’aime bien utiliser la métaphore de l’un de nos anciens présidents : « Dans la vie, comme dans une voiture, il faut un grand pare-brise pour regarder vers l’avant et de petits rétroviseurs pour regarder vers l’arrière ». Je pense qu’il y a malheureusement trop de monde qui fonctionne à l’opposé dans notre société.

Je suis tout à fait conscient que ton programme est digne d’un professionnel. Pour être passé par-là également, je ne peux que te féliciter de ton engagement, de même que celui de ta cellule familiale, qui comme mes parents à l’époque, consentent à d’énormes sacrifices pour te permettre de poursuivre ton rêve. Je pense que tu t’en rends déjà compte aujourd’hui mais ce sera encore plus significatif lorsque tu en parleras avec eux quand tu auras mon âge et que tu auras peut-être toi-même des enfants.

Notre organisation, comme tous les clubs formateurs du pays, procédons régulièrement à des ajustements pour essayer de progresser. Cela concerne énormément d’aspect, non-seulement sportifs mais aussi plus généralement au niveau de l’encadrement. Nous avons mis en place depuis de nombreuses années les devoirs surveillés, avant les entraînements, et travaillons par exemple depuis plus de deux ans sur le système du sport-étude, qui nécessite des améliorations. Ce travail prend du temps mais en collaboration avec les autorités cantonales, nous progressons et les premiers ajustements sont planifiés pour la rentrée 2021. Cela reste cependant un engagement exceptionnel pour des jeunes de ton âge. Travailler fort, respectivement plus fort, permet cependant de se donner les moyens de poursuivre ses rêves.

Et pour également rassurer tes parents, mes propos dans l’article de La Liberté ne visaient pas ceux qui, comme toi, sont présents dans les organisations mais bien ceux qui « manquent » dans la pyramide. Cette problématique est également complexe et le recrutement de base n’est pas évident car il y a aujourd’hui une quantité phénoménale d’activités à pratiquer, bien plus « simples » et moins coûteuses que le hockey sur glace. Culturellement, le hockey sur glace ne fait pas non plus obligatoirement partie des centres d’intérêt des jeunes issus de l’immigration. L’accès aux infrastructures représente également l’une des problématiques. Nous travaillons donc aussi sur ces sujets, en ayant par exemple mis en place le concept cantonal qui induit l’engagement de deux entraîneurs professionnels au service du nord et du sud du canton, permettant à chacun de pratiquer son sport dans un environnement idéal.

Tout cela est un travail de longue haleine dont les fruits ne sont pas visibles immédiatement. Il nous faut persévérer et ne pas se décourager, tout comme toi. Et, dans mes propos, il ne faut en aucun cas y voir une critique envers les jeunes qui comme toi pratiquent leur sport, au niveau Elit, avec un investissement digne de professionnels, tout en poursuivant en parallèle une formation scolaire ou professionnelle. Les chiffres qui  sont cités dans l’article démontrent cependant qu’il n’y a à ce jour pas assez de joueurs suisses dans la catégorie U20-Elit, qui compte près de 15% de joueurs étrangers dans ses contingents. Ce n’est pas « normal ».

Partir jouer à l’étranger à 16 ou 17 ans est effectivement une preuve de courage. C’est aussi assurément une expérience de vie profitable. D’un point de vue sportif, il n’y a cependant pas de règle valable pour tous. Chaque cas ou situation est à considérer individuellement. Parfois cela est bénéfique au niveau sportif et parfois pas. Beaucoup sont partis et ont progressé mais beaucoup n’en n’ont tiré aucun bénéfice sportif. Pour ce genre de sujet, tu disposes dans notre organisation de personnalités aux parcours divers, comme Christian Dubé, Gerd Zenhäusern, David Aebischer (senior), Pavel Rosa et bientôt encore Sandy Jeannin, qui seront de bon conseil.

J’espère avoir pu répondre à certaines de tes interrogations et à celles de tes parents. N’hésite jamais à poser tes questions en premier lieu à tes entraîneurs ou à ton chef de formation. Nous nous parlons quasiment quotidiennement car notre centre de formation revêt une très grande importance à nos yeux.

Salutations sportives,
Raphaël Berger